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lundi 9 février 2015

Caillasses, Laurent Gaudé ******




"Il n’est pas de géographie plus précise que celle des voix. Tout se situe ensuite, de part et d’autre des murs, des frontières, des checkpoints qu’il est inutile de nommer. Tout se situe sur la carte, en fonction de qui entend les voix, et qui ne les entend pas. 

Meriem entreprend un voyage avec le passeur. D’autres entreprennent le voyage dans l’autre sens. Et d’autres encore, les plus nombreux, restent, attendent, guettent. La cruauté c’est de leur faire croire qu’ils n’ont plus le droit à la beauté, qu’ils sont nés au milieu des ruines, qu'ils sont faits pour les ruines. Des hommes qui enfanteront des gamins de cailloux. Mal finis, prêts à se faire écraser, prêts à tout pour sniffer de la colle qui efface le souvenir, qu’ils n’avaient pas de toutes façons. 
Caillasser c’est baptiser. Soulever la mémoire du sol. Accepter la dote du temps, la faire sienne. Résister en son centre. Tenir le caillou fort dans sa main, avec une petite sueur, le tenir théoriquement, c’est décider, sans aucune naïveté, et avec une radicale douceur, que l’amour se sauve des tombes et des grillages. Variation mythique sur fond de conflit trop répandu." France Culture

A écouter sur France Culture


Mon p'tit Blog : Rapidement j'ai eu ce besoin impérieux de lire à voix haute ce texte magnifique de Laurent Gaudé convoquant "l'antique douleur des hommes". La justesse des mots fait mouche, les émotions portant l'exil, la déchirure, l'usure nous traversent, nous transpercent et, comme à son habitude, l'épopée fait jaillir l'universel et bouleverse : "convoquer une voix sourde et commune" pour oser assumer le réalisme du sujet. Les choeurs de voix tantôt masculines tantôt féminines relaient les personnages individuels et font résonance au-delà de toutes les frontières ; et que dire de l'Enfant des Gravats, de son langage si peu conventionnel mais pourtant intelligible...

Quel écrivain fabuleux !

Extraits : : 
"Moi ? Jamais demandé ça. Personne. Je prends. Je parle aux pierres. Je suis roi en mon tas de ruines.""Tu vires ? Sans les yeux pour moi. T'es dure, tu barres la route, la taille, comme ça. Je peux pas t'empêcher, moi, d'entrer en moi comme ça." L'enfant des gravats 
"Tu te trompes, mon père, Pardonne-moi, Tu te trompes. Ces clés ne sont pas le seul bien que tu me transmets. Il y a plus. Il y a bien plus. Ton regard humilié. Ton visage d'homme vaincu. C'est sur cela, mon père, que je concentre mes esprits. C'est cela que j'emporte. Je ne veux pas oublier ce qu'ils ont fait de vous. Des hommes jeunes et puissants, Mes pères, Nos oncles, Devenus en quelque temps de pauvres ombres découragées. Laisse-moi te regarder, mon père. Cela me donne des forces pour les jours à venir .Je serre les clés dans ma main Mais je n'oublierai pas ton regard. Je m'y replongerai chaque fois que ma colère faiblira. Je regarde ce qu'ils ont fait de toi, mon père, Et je ne pardonnerai pas."
"LE CHOEUR DES HABITANTS DE LA VILLE [...Caillasse, Tu vas te battre, Tu sais le faire, Mais pas comme une bête, Pas comme un voleur de ruines. Les pierres, tout autour de toi, parlent de nous, De nos combats. Tu vas te battre. Et si tu te souviens de nous, Si tu te souviens de tout, Il y aura de la joie, Le jour béni où ,En notre nom,Caillasse, Tu vaincras."

On s'embrasse pas ? Michel Monnereau ****

Ed La Table Ronde - 2007


Résumé La nuit sentait la bière solitaire et la gueule de bois de la quarantaine. Surtout, il y avait cette envie de revenir qui venait de naître en moi loin, très loin, là où se dessinent les grands destins et les catastrophes. Après quinze années d'errance à travers le monde, un homme, désenchanté, revient échouer dans ce qu'il lui reste de famille. À la manière d'un ange noir, il va méthodiquement défaire la vie tranquille de tous ceux qu'il retrouve.




Mon p'tit Blog : Le temps de se familiariser avec ce ton un peu froid puis cynique, on prend goût à ce regard désenchanté, on perçoit toute la justesse du propos et sourit des constats amers qui viennent appuyer une réalité triste et désespérante. On finit par donner raison à tous les espoirs de liberté quand ils viennent chambouler une vie sans rêve !

Extraits :

" Je saisissais un bouquin de Proust pour me calmer, l'ouvris au hasard et me pénétrai de la beauté de cette langue pour me persuader que, quelque part, l'espoir existait encore, battant faiblement comme une veine au cou de la femme qu'on aime."
 "C'était un soir à descendre en soi et à vérifier le bien-fondé de ses raisons de vivre, dépouillé de la tentation des relations forcées. Un soir à ne pas manquer, halte fraîche dans le cours trouble des jours. Un soir à se rêver autre, et toute vie est accordée à la qualité de son rêve." 
"C'est long à se rendre, un corps. ça peut se cabrer pour voir encore un printemps, un dernier soleil, un enfant naître. Pour certains mots qui restent à dire, des silences à partager, quelques regards où l'être passe tout entier, ça peut tenir arc-bouté contre l'inéluctable. Puis viennent le frémissement du renoncement et l'appel des ombres."
"L'ennui, c'est le contraire de la liberté. Les gens qui s'ennuient aiment les cages, pas moi." "Qu'y avait-il à hériter, sinon une mélancolie familiale assortie d'une tendance à tout laisser aller à vau-l'eau en rêvassant à un lendemain excellentissime ? Dans la famille, on se retrouvait ainsi à l'aube du dernier rêve sans avoir jamais commencé à réaliser le premier." 
"Il exhuma sa canne à pêche, ayant depuis longtemps rejoint le parti de ceux  qui tuent dès qu'ils ont un moment de liberté."
"Très important, la mobylette, dans le processus de décision."
"Ah ! se réveiller sans mémoire, prêt à se coltiner la grande farce du monde et trouver ça normal. J'ai jamais pu." 
"Je leur laissais tout, j'avais hérité du vent et ça me suffisait."

Critiques
- "Dans ce second roman, Michel Monnereau porte à son apogée le ton personnel et l'humour incisif salués par la critique dans Carnets de déroute" (La Table Ronde, 2006), Prix du Premier Roman de Draveil, Prix des Lecteurs Atout Sud.
- «Le narrateur aime les calembours, c'est sa politesse du désespoir.» Christine Ferniot, Lire, 02/06
- «Avec Carnets de déroute, Michel Monnereau signe un texte juste et grinçant.» Emilie Grangeray, Le Monde, 17/02/06
- «Une grande maîtrise stylistique et un humour désarmant.»  Karine Papillaud, 20 minutes, 29/03/06