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mercredi 23 février 2011

POUR UNE EDUCATION BUISSONNIERE, Louis Espinassous *****

Résumé :
Nous privons de plus en plus nos enfants de la nature, du dehors, les acheminant peu à peu vers une éducation ‘‘hors-sol’’. Et ceci au nom de la sécurité, de l’hygiène, de la norme, du risque zéro, et sous le prétexte fallacieux que, par écrans interposés, la vie, le réel arrivent désormais sans risques jusqu’au cœur de douillettes petites cages dorées où nous les gardons à l’abri. Or le monde n’est pas réductible aux murs de la chambre ou de la classe, ni à des images virtuelles, les plus perfectionnées soient-elles.
C’est dehors, dans le jardin, les prés et les bois, le bord de mer ou la montagne, dans ce contact plein avec le réel que l’enfant construit une part considérable de son rapport à son corps, à ses sens, à son intelligence, à la vie et aux autres. C’est ainsi qu’il développe au mieux la totalité de son être.
Riche d’enseignements et de réflexions, POUR UNE ÉDUCATION BUISSONNIÈRE est aussi une vigoureuse exhortation au développement de l’éducation nature pour que chaque enfant puisse s’épanouir en tant qu’être vivant sur notre planète, et aille vers une humanité plus solidaire et respectueuse des ressources limitées et de la beauté du monde.
Tout jeune, LOUIS ESPINASSOUS a eu la vocation d’éducateur nature. Quarante ans plus tard, infatigable, il assume cette vocation à laquelle s’ajoutent celles d’accompagnateur en montagne, de pisteur d’ours, d’incorrigible dormeur à la belle étoile, de conteur et d’écrivain. Toujours avec la même jubilation, il emmène enfants, adolescents, adultes, publics handicapés ou difficiles dans des séjours, des classes découvertes, des stages de formation au cœur des Pyrénées, dans cette vallée d’Ossau où il a pris racine depuis plus de trente ans.

Mon P'tit Blog :
Quel bain de jouvence que la lecture de ce précis de Louis Espinassous ! Par bon nombre de réflexions saines et ancrées dans une vie de bon sens, il nous donne l'impression de le lire face à un bon feu de camp, dans la beauté d'un jour finissant, épuisé d'une journée en pleine nature. Son livre est une réussite puisqu'à lire ses arguments pour une éducation buissonnière, on rêve plus que jamais d'une école équilibrée pour nos enfants, où le contact avec la "matière", naturelle et humaine, apporterait le complément à un enseignement classique. Et oui, aujourd'hui l'école n'endosse plus aucune prérogative éducative !...

Extraits :
Etre humain, c'est être à l'affût et chassant, aux aguets. Nous ne sommes pas nés pour assister, béats, au spectacle de la Nature, des êtres et de l'Histoire, comme si l'univers était achevé et qu'il ne nous restait plus qu'à nous bâtir des esplanades et des observatoires, avec des télescopes, écrans de télévision et fauteuils qui basculent. Nous sommes partie prenante (et drôlement prenante), nous sommes branchés d'antennes et résonnants de signaux, de détresse ou de joie, de bonheur ou d'alarme, comme des insectes qui cherchent leur vie dans l'herbe. Nous avons des enthousiasmes d'enfant chercheur et des frousses de poursuivi par les loups. Et si nous n'observons pas, ne prenons pas de notes, si nous attendons lâchement que les chercheurs, dans leur tour d'ivoire, ou que les politiciens, dans leur tour de contrôle, trouvent, résolvent pour nous les grandes énigmes de l'univers et nous installent des chaises confortables pour assister à la représentation du monde, tranquille, apaisée, observable à distance, alors nous abandonnons notre vie, nous entrons dans le cauchemar, apparemment féérique, de l'existence virtuelle.
La surprotection de l'enfant nous mène dans une impasse éducative. Pire, elle nous mène à une démission de notre rôle éducatif.
"Il n'y a rien de plus important au monde, et pour le monde, qu'un beau souvenir d'enfance." F.Dostoïesvki
"N. et J. descendirent l'escalier à leur tour. Ils avaient le teint vif, le sang fouetté ; il rêgnait autour d'eux comme une odeur de liberté. Lorsque N. rentra prestement dans sa poche l'effilochure de nuage qui en dépassait encore, J. sourit de l'étourderie de son frère." Boris Vian, L'Arrache-coeur
Il y aura des jours où vous serez comme un souverain pacifique assis sous un arbre : le monde entier viendra vous rendre hommage et vous apporter tribut. Ce seront là vos jours de contemplation.Il y aura des jours où vous devrez prendre besace et bâton pour aller chercher votre vie le long des routes. Il faudra, ces jours-là, vous contenter de vos gains d'observateur, de chasseur ; n'ayez crainte : ils seront beaux.Il est doux de recevoir ; il est passionnant de prendre. Il faut, tour à tour, séduire et forcer l'univers. Quand on a longuement contemplé le roc fauve, ses lichens, ses algues veloutées, il est bien amusant de le soulever : on connaît alors son poids et le petit nid de salamandes au ventre orange qui vivent là dans la fraîcheur.C'est un jeu perpétuel et semblable à l'amour que cette possession d'un monde qui tantôt se livre et tantôt se dérobe ; c'est un jeu grave et divin. Citation de Georges Duhamel, in Gilbert Anscieau, Les Clefs de la découverte. 

mardi 15 février 2011

ABEL DANS LA FORET PROFONDE, Aron Tamasi****

Résumé :
Je me nomme Abel, 15 ans, engagé comme garde forestier sur le Hartiga, forêt domaniale qui appartient au directeur d’une banque. J’ai en charge la vente de bois, te tenir des comptes et de rendre des comptes ! Si l’on m’en donne le choix, j’agirai selon ma conscience et retournerai auprès de mon père et ma mère et en aucun cas représenterai « un chien que l’on place quelque part pour qu’il garde les parages ».
Accompagné de mes fidèles amis, Puce le chien, ma chèvre, mon chat, mes deux poules et mon fusil, je suis coincé ici à contempler « le passé, le présent et l’avenir ». Je laisse filer les jours, heureusement agrémentés par de plaisantes aventures. Bien qu’étant habité par la peur, je prends plaisir aux diverses rencontres qui me permettent des joutes verbales religieuses, spirituelles, métaphysiques et remercie mon père pour ce pouvoir de la répartie des plus malicieuses qu’il m’a inculqué et qui me sort de bien des moments difficiles.
Car la nature humaine n’est pas des meilleures et ma vie est en danger bien des fois. Je sais que Dieu veille sur moi, que mon caractère s’est forgé en accomplissant ce trajet et que je suis plus aguerri et averti, mais je me sens seul et suis loin d’admettre la force de certains individus sur d’autres, plus faible. C’est pourquoi « (Je fais) serment, où que mon chemin me conduise, je porterais toujours le drapeau des pauvres et des opprimés ».


Commentaires Le Blog des Mardis hongrois :


Ábel apprend la vie en Transylvanie
Tous les jeunes Hongrois connaissent «Ábel dans la forêt profonde», un merveilleux récit de formation, œuvre de Áron Tamási, datant de 1932. Une nouvelle traduction par la maison genevoise Héros-Limite permet d’en découvrir le charme bondissant.


Comme dans les contes, Ábel est devant un gros tas de blé de Turquie à égrener jusqu’au soir. A ses côtés, le chien, sur son épaule, le chat. Ábel dans la forêt profonde, dit Agnès Járfás, la traductrice, est un livre que tous les jeunes Hongrois ont lu. Ils ont de la chance, ce roman de formation est délicieux. Paru en 1932, il se déroule en 1920
"L’Histoire, les histoires, l’histoire. Ici celle d’Ábel, celle d’un de ces porteurs de feu de la littérature. Adolescent pauvre que son père mène, aux premières pages, dans les montagnes roumaines de la Hagita, la grande forêt du mythe, afin qu’il s’y invente le métier de garde forestier, et celui d’homme. Abandon? Non. Plutôt prise de liberté, affranchissement, ouverture de cette chasse aux illusions qu’est la vie.
Conte ou Bildungsroman? Avec Ábel l’on peut oublier les catégories et prendre plaisir aux intelligences: celle du langage, de la repartie indemne de pouvoir, du sous-texte où l’histoire des oppressions est redite au travers d’archétypes si subtils qu’ils oublient d’en être. A la conclusion le pauvre reste pauvre, mais réussit encore à faire cadeau au lecteur d’une lucidité joyeuse.
Ábel dans la forêt profonde est un exemple rare, sinon unique, du rousseauisme au vingtième siècle. Roman majeur de la littérature hongroise, il est animé par une prose lyrique, teintée de mysticisme. Sa langue emprunte largement au dialecte local, les dialogues, pleins d’humour, s’articulent autour des traits d’esprit et des jeux de mots. Il est parmi les textes les plus attachants et les plus lus en Hongrie.
« Cap sur l’Est. Laissez derrière vous la vaste plaine pannonienne, franchissez la Tisza par un jour sans crue et remontez les méandres de la Mures.
Coupez ensuite par la montagne où les lacs portent des noms d’ours et rejoignez d’autres flots turbulents, ceux de l’Olt qui auraient vu le diable même mourir gelé. C’est là, dans le comté forestier de la Hargita, où l’on salue en hongrois, mais règle ses dettes en lei roumains, qu’est née la légende d’Ábel.Il faut en effet parler de légende tant le récit de l’écrivain transylvanien Áron Tamási (1897 à Farkaslaka-1966 à Budapest) tient une place particulière et fondamentale dans l’histoire de la littérature hongroise. D’abord livré sous la forme d’un feuilleton dans un journal de Brasov, « Ábel » est publié en 1932 chez Erdélyi Szépmíves, une maison d’édition sise à Cluj qui rassemble alors un singulier foisonnement littéraire magyarophone, dont les oeuvres de Károly Kós, Aladár Kuncz et Benö Karácsony. « Ábel » connait immédiatement un immense succès critique et populaire, il est lu et commenté – aujourd’hui encore – dans les lycées hongrois.
À l’instar de son héros, Áron Tamási a vécu dans la Hargita puis bourlingué jusqu’en Amérique avant de trouver sa vocation d’écrivain et de livrer une abondante bibliographie dont ce roman hors du temps. Voici un « Ábel » profondément humaniste, drôle, écologiste avant l’heure, méfiant à l’encontre des mirages de son époque ; une histoire de Robinson avec la forêt pour Océan et la malice pour boussole. Adolescent, Ábel est envoyé sur la montagne comme garde champêtre. À lui seul désormais de découvrir la rugueuse beauté de ce monde et les êtres qui le traversent : chiens, gendarmes, brigands, moines, propriétaires…Échaudé, Ábel pourrait devenir misanthrope ou révolutionnaire. Sa curiosité (notamment à l’égard des juifs orthodoxes), son honnêteté et sa foi la création le préservent du pire sinon des bosses.
Áron Tamási est parfois comparé à Giono ou Ramuz pour la saveur de sa langue, ses dialogues si proches des roublardises du parler sicule, et son attachement jamais démenti à sa terre natale. Il ne saurait toutefois être réduit au rang d’auteur régionaliste, toute son oeuvre – ses romans, ses nouvelles comme son théâtre – tendant en effet vers une dimension humaniste et universaliste souvent proche de la féerie ou du conte oriental. Resté à Budapest durant les années de plomb du stalinisme, ce démocrate à l’esprit trop indépendant fut mis au ban de la littérature sous l’accusation – faute de mieux – de déisme, avant de se voir réhabilité tant le succès de ses écrits dépassait les tentatives de censure.
Une première traduction francophone du roman vit le jour en 1944 en Suisse, alors que Budapest guettait l’arrivée des chars soviétiques. Publié à Lausanne par la Guilde du livre Ábel dans la forêt sauvage fut traduit par un étrange duo réuni quelques semaines durant à Genève par les circonstances de la guerre. Jeune boursier de Budapest et futur grand oeil du Parti sur les lettres hongroises, Péter Nagy s’était lié avec l’anarchiste français en exil André Prudhommeaux. Savoureuse, mais éloignée du texte original par ses nombreuses corrections, cette première traduction s’est perdue dans le chaos de la fin de la guerre. Il a ainsi fallu attendre plus de soixante ans, pour que ce récit extraordinaire ressurgisse des forêts de la Hargita dans une nouvelle traduction plus fidèle au texte originel.» Thierry Sartoretti