Je me nomme Abel, 15 ans, engagé comme garde forestier sur le Hartiga, forêt domaniale qui appartient au directeur d’une banque. J’ai en charge la vente de bois, te tenir des comptes et de rendre des comptes ! Si l’on m’en donne le choix, j’agirai selon ma conscience et retournerai auprès de mon père et ma mère et en aucun cas représenterai « un chien que l’on place quelque part pour qu’il garde les parages ».
Accompagné de mes fidèles amis, Puce le chien, ma chèvre, mon chat, mes deux poules et mon fusil, je suis coincé ici à contempler « le passé, le présent et l’avenir ». Je laisse filer les jours, heureusement agrémentés par de plaisantes aventures. Bien qu’étant habité par la peur, je prends plaisir aux diverses rencontres qui me permettent des joutes verbales religieuses, spirituelles, métaphysiques et remercie mon père pour ce pouvoir de la répartie des plus malicieuses qu’il m’a inculqué et qui me sort de bien des moments difficiles.
Car la nature humaine n’est pas des meilleures et ma vie est en danger bien des fois. Je sais que Dieu veille sur moi, que mon caractère s’est forgé en accomplissant ce trajet et que je suis plus aguerri et averti, mais je me sens seul et suis loin d’admettre la force de certains individus sur d’autres, plus faible. C’est pourquoi « (Je fais) serment, où que mon chemin me conduise, je porterais toujours le drapeau des pauvres et des opprimés ».
Commentaires Le Blog des Mardis hongrois :
Ábel apprend la vie en Transylvanie
Tous les jeunes Hongrois connaissent «Ábel dans la forêt profonde», un merveilleux récit de formation, œuvre de Áron Tamási, datant de 1932. Une nouvelle traduction par la maison genevoise Héros-Limite permet d’en découvrir le charme bondissant.
Comme dans les contes, Ábel est devant un gros tas de blé de Turquie à égrener jusqu’au soir. A ses côtés, le chien, sur son épaule, le chat. Ábel dans la forêt profonde, dit Agnès Járfás, la traductrice, est un livre que tous les jeunes Hongrois ont lu. Ils ont de la chance, ce roman de formation est délicieux. Paru en 1932, il se déroule en 1920
"L’Histoire, les histoires, l’histoire. Ici celle d’Ábel, celle d’un de ces porteurs de feu de la littérature. Adolescent pauvre que son père mène, aux premières pages, dans les montagnes roumaines de la Hagita, la grande forêt du mythe, afin qu’il s’y invente le métier de garde forestier, et celui d’homme. Abandon? Non. Plutôt prise de liberté, affranchissement, ouverture de cette chasse aux illusions qu’est la vie.
Conte ou Bildungsroman? Avec Ábel l’on peut oublier les catégories et prendre plaisir aux intelligences: celle du langage, de la repartie indemne de pouvoir, du sous-texte où l’histoire des oppressions est redite au travers d’archétypes si subtils qu’ils oublient d’en être. A la conclusion le pauvre reste pauvre, mais réussit encore à faire cadeau au lecteur d’une lucidité joyeuse.
Ábel dans la forêt profonde est un exemple rare, sinon unique, du rousseauisme au vingtième siècle. Roman majeur de la littérature hongroise, il est animé par une prose lyrique, teintée de mysticisme. Sa langue emprunte largement au dialecte local, les dialogues, pleins d’humour, s’articulent autour des traits d’esprit et des jeux de mots. Il est parmi les textes les plus attachants et les plus lus en Hongrie.
Conte ou Bildungsroman? Avec Ábel l’on peut oublier les catégories et prendre plaisir aux intelligences: celle du langage, de la repartie indemne de pouvoir, du sous-texte où l’histoire des oppressions est redite au travers d’archétypes si subtils qu’ils oublient d’en être. A la conclusion le pauvre reste pauvre, mais réussit encore à faire cadeau au lecteur d’une lucidité joyeuse.
Ábel dans la forêt profonde est un exemple rare, sinon unique, du rousseauisme au vingtième siècle. Roman majeur de la littérature hongroise, il est animé par une prose lyrique, teintée de mysticisme. Sa langue emprunte largement au dialecte local, les dialogues, pleins d’humour, s’articulent autour des traits d’esprit et des jeux de mots. Il est parmi les textes les plus attachants et les plus lus en Hongrie.
« Cap sur l’Est. Laissez derrière vous la vaste plaine pannonienne, franchissez la Tisza par un jour sans crue et remontez les méandres de la Mures.
Coupez ensuite par la montagne où les lacs portent des noms d’ours et rejoignez d’autres flots turbulents, ceux de l’Olt qui auraient vu le diable même mourir gelé. C’est là, dans le comté forestier de la Hargita, où l’on salue en hongrois, mais règle ses dettes en lei roumains, qu’est née la légende d’Ábel.Il faut en effet parler de légende tant le récit de l’écrivain transylvanien Áron Tamási (1897 à Farkaslaka-1966 à Budapest) tient une place particulière et fondamentale dans l’histoire de la littérature hongroise. D’abord livré sous la forme d’un feuilleton dans un journal de Brasov, « Ábel » est publié en 1932 chez Erdélyi Szépmíves, une maison d’édition sise à Cluj qui rassemble alors un singulier foisonnement littéraire magyarophone, dont les oeuvres de Károly Kós, Aladár Kuncz et Benö Karácsony. « Ábel » connait immédiatement un immense succès critique et populaire, il est lu et commenté – aujourd’hui encore – dans les lycées hongrois.
À l’instar de son héros, Áron Tamási a vécu dans la Hargita puis bourlingué jusqu’en Amérique avant de trouver sa vocation d’écrivain et de livrer une abondante bibliographie dont ce roman hors du temps. Voici un « Ábel » profondément humaniste, drôle, écologiste avant l’heure, méfiant à l’encontre des mirages de son époque ; une histoire de Robinson avec la forêt pour Océan et la malice pour boussole. Adolescent, Ábel est envoyé sur la montagne comme garde champêtre. À lui seul désormais de découvrir la rugueuse beauté de ce monde et les êtres qui le traversent : chiens, gendarmes, brigands, moines, propriétaires…Échaudé, Ábel pourrait devenir misanthrope ou révolutionnaire. Sa curiosité (notamment à l’égard des juifs orthodoxes), son honnêteté et sa foi la création le préservent du pire sinon des bosses.
Áron Tamási est parfois comparé à Giono ou Ramuz pour la saveur de sa langue, ses dialogues si proches des roublardises du parler sicule, et son attachement jamais démenti à sa terre natale. Il ne saurait toutefois être réduit au rang d’auteur régionaliste, toute son oeuvre – ses romans, ses nouvelles comme son théâtre – tendant en effet vers une dimension humaniste et universaliste souvent proche de la féerie ou du conte oriental. Resté à Budapest durant les années de plomb du stalinisme, ce démocrate à l’esprit trop indépendant fut mis au ban de la littérature sous l’accusation – faute de mieux – de déisme, avant de se voir réhabilité tant le succès de ses écrits dépassait les tentatives de censure.
Une première traduction francophone du roman vit le jour en 1944 en Suisse, alors que Budapest guettait l’arrivée des chars soviétiques. Publié à Lausanne par la Guilde du livre Ábel dans la forêt sauvage fut traduit par un étrange duo réuni quelques semaines durant à Genève par les circonstances de la guerre. Jeune boursier de Budapest et futur grand oeil du Parti sur les lettres hongroises, Péter Nagy s’était lié avec l’anarchiste français en exil André Prudhommeaux. Savoureuse, mais éloignée du texte original par ses nombreuses corrections, cette première traduction s’est perdue dans le chaos de la fin de la guerre. Il a ainsi fallu attendre plus de soixante ans, pour que ce récit extraordinaire ressurgisse des forêts de la Hargita dans une nouvelle traduction plus fidèle au texte originel.» Thierry Sartoretti
Coupez ensuite par la montagne où les lacs portent des noms d’ours et rejoignez d’autres flots turbulents, ceux de l’Olt qui auraient vu le diable même mourir gelé. C’est là, dans le comté forestier de la Hargita, où l’on salue en hongrois, mais règle ses dettes en lei roumains, qu’est née la légende d’Ábel.Il faut en effet parler de légende tant le récit de l’écrivain transylvanien Áron Tamási (1897 à Farkaslaka-1966 à Budapest) tient une place particulière et fondamentale dans l’histoire de la littérature hongroise. D’abord livré sous la forme d’un feuilleton dans un journal de Brasov, « Ábel » est publié en 1932 chez Erdélyi Szépmíves, une maison d’édition sise à Cluj qui rassemble alors un singulier foisonnement littéraire magyarophone, dont les oeuvres de Károly Kós, Aladár Kuncz et Benö Karácsony. « Ábel » connait immédiatement un immense succès critique et populaire, il est lu et commenté – aujourd’hui encore – dans les lycées hongrois.
À l’instar de son héros, Áron Tamási a vécu dans la Hargita puis bourlingué jusqu’en Amérique avant de trouver sa vocation d’écrivain et de livrer une abondante bibliographie dont ce roman hors du temps. Voici un « Ábel » profondément humaniste, drôle, écologiste avant l’heure, méfiant à l’encontre des mirages de son époque ; une histoire de Robinson avec la forêt pour Océan et la malice pour boussole. Adolescent, Ábel est envoyé sur la montagne comme garde champêtre. À lui seul désormais de découvrir la rugueuse beauté de ce monde et les êtres qui le traversent : chiens, gendarmes, brigands, moines, propriétaires…Échaudé, Ábel pourrait devenir misanthrope ou révolutionnaire. Sa curiosité (notamment à l’égard des juifs orthodoxes), son honnêteté et sa foi la création le préservent du pire sinon des bosses.
Áron Tamási est parfois comparé à Giono ou Ramuz pour la saveur de sa langue, ses dialogues si proches des roublardises du parler sicule, et son attachement jamais démenti à sa terre natale. Il ne saurait toutefois être réduit au rang d’auteur régionaliste, toute son oeuvre – ses romans, ses nouvelles comme son théâtre – tendant en effet vers une dimension humaniste et universaliste souvent proche de la féerie ou du conte oriental. Resté à Budapest durant les années de plomb du stalinisme, ce démocrate à l’esprit trop indépendant fut mis au ban de la littérature sous l’accusation – faute de mieux – de déisme, avant de se voir réhabilité tant le succès de ses écrits dépassait les tentatives de censure.
Une première traduction francophone du roman vit le jour en 1944 en Suisse, alors que Budapest guettait l’arrivée des chars soviétiques. Publié à Lausanne par la Guilde du livre Ábel dans la forêt sauvage fut traduit par un étrange duo réuni quelques semaines durant à Genève par les circonstances de la guerre. Jeune boursier de Budapest et futur grand oeil du Parti sur les lettres hongroises, Péter Nagy s’était lié avec l’anarchiste français en exil André Prudhommeaux. Savoureuse, mais éloignée du texte original par ses nombreuses corrections, cette première traduction s’est perdue dans le chaos de la fin de la guerre. Il a ainsi fallu attendre plus de soixante ans, pour que ce récit extraordinaire ressurgisse des forêts de la Hargita dans une nouvelle traduction plus fidèle au texte originel.» Thierry Sartoretti
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire